Les philosophes grecs classiques: Platon

  • Cours de philosophie – Joachim LACROSSE
  • Support écrit (SE)
  • (notes provisoires, octobre 2013) 

Les philosophes grecs classiques: Des Sophistes à Aristote

Platon

Platon : le sensible et l’intelligible

Platon (427 — 347 av. J.-C.), malgré le fait qu’il exprime parfois des préoccupations à mille lieues des idées de notre époque, est sans doute le plus grand philosophe de tous les temps. Son œuvre a eu une telle portée que l’on a dit au siècle passé que l’ensemble de la philosophie européenne n’était qu’une série de « notes de bas de page » à ses écrits ! Avec son disciple Aristote, il a configuré pour très longtemps la manière dont la civilisation occidentale appréhende une série de questions touchant à l’épistémologie, à la psychologie, à la cosmologie, à l’esthétique à l’éthique ou encore à la politique.
Doué dans sa jeunesse, et plus tard, pour la poésie (sa langue est, d’un point de vue littéraire, un véritable bijou) et pour l’art politique (sa philosophie est tournée en dernière analyse vers la question du bien commun et de la cité idéale), Platon aurait choisi de se vouer à la philosophie après avoir rencontré Socrate puis assisté à son procès et à son exécution. Après des voyages en Egypte et en Italie (où il a peut-être été en contact avec des Pythagoriciens), il fonde son école de philosophie à Athènes, l’Académie, sur le fronton de laquelle la légende raconte qu’on avait gravé l’inscription : « Nul n’entre ici s’il n’est mathématicien ».
Comme Socrate, Platon est à la recherche du bien commun et des critères qui permettent d’atteindre le bonheur. Mais il va substituer à l’ignorance socratique un savoir positif fondé sur la méthode dialectique. Si la sensation et l’opinion ne nous permettent pas de savoir ce qui est bon ou juste, il faut rechercher ces critères ailleurs, dans des objets différents. Ces objets, qui ne peuvent être appréhendés que par la pensée ou l’intellect, Platon les appelle les intelligibles ou les idées (d’où le nom d’idéalisme parfois associé à sa philosophie).
Comme l’« être » de Parménide, l’idée est stable, éternelle, toujours identique à ellemême, et ce contrairement aux choses qui sont soumises au devenir héraclitéen. Sur cette base, Platon va construire une distinction radicale entre un monde sensible (objet des sens et siège du devenir) et un « monde » intelligible (objet de la pensée et siège de l’être). Ce faisant, il réconcilie en quelque sorte les positions d’Héraclite et Parménide en les rendant complémentaires.
Cependant, ces deux plans, l’intelligible et le sensible, ou l’être et le devenir, n’ont pas le même statut : le premier est le modèle ou la cause du second, lequel ne fait que participer à ce modèle. Pour clarifier ce point, Platon a recours, dans son ouvrage intitulé la République, à une mythe, à une allégorie, celle de la caverne :

 

« Figure toi des hommes dans une demeure souterraine en forme de caverne, dont l’entrée, ouverte à la lumière, s’étend sur toute la longueur de la façade ; ils sont là depuis leur enfance, les jambes et la nuque pris dans des liens qui les obligent à rester sur place et à ne regarder que vers l’avant, incapables qu’ils sont, à cause du lien, de tourner la tête ; leur parvient la lumière d’un feu qui brûle en haut et au loin, derrière eux ; entre le feu et les hommes enchaînés, il y a une route élevée, le long de laquelle on a élevé un muret, à la façon dont les montreurs de marionnettes dressent des cloisons entre eux et leur public. […] Figure toi maintenant le long de ce muret des hommes qui portent des objets fabriqués de toute sorte qui dépassent du mur, des statues d’hommes et d’autres êtres vivants, en pierre, en bois, et en toutes matières ; parmi ces porteurs, les uns parlent, les autres se taisent. — Voilà un étrange tableau et d’étranges prisonniers. — Ils nous ressemblent. […] Il est indubitable que pour ces gens-là la réalité ne saurait être autre chose que les ombres ainsi confectionnés. — Nécessairement. » (Platon, République, 514a-515b).

 

Ce mythe signifie que notre rapport aux objets sensibles et au monde qui nous entoure (que nous tenons pour vrai) est analogue à celui de ces hommes qui prennent des ombres pour des réalités ! Cette signification peut être explicitée par une image célèbre, celle de la ligne, qui propose une analogie entre l’intelligible (a), objet de la science (epistémè) et de la pensée, d’une part, et le sensible (b), objet de l’opinion (doxa) et de la sensation, d’autre part.
Chaque domaine se subdivise à son tour selon le même rapport (logos) : ainsi, l’intelligible (a) et le sensible (b) sont l’un envers l’autre dans le même rapport, à l’intérieur du domaine sensible, que les objets sensibles ou concrets (a’) envers leurs ombres (comme dans la caverne) et leurs reflets (dans un miroir, dans l’eau, etc.), c’est-à-dire leurs copies ou leurs « imitations » (b’).
Notons au passage que Platon disqualifie ainsi les arts figuratifs, considérés comme des activités « mimétiques », qui ne font que copier des objets sensibles, lesquels sont eux-mêmes des copies d’objets intelligibles (ce qui fait des œuvres d’art des « copies de copies » ayant le même statut que les ombres ou les reflets…). Il faut dire que les œuvres d’art ne sont pas forcément programmées pour répondre au critère platonicien, celui de la conformité au vrai, qui n’a rien d’un critère artistique ! Le terme grec mimêsis (latin imitatio) est ainsi compris sur le mode de la « ressemblance », selon un modèle pictural (peinture, sculpture), ce qui implique que les œuvres d’art son conçues comme ayant le même statut que des ombres ou des reflets. Cette théorie « mimétique » de l’art aura, malgré la condamnation platonicienne des arts picturaux, une énorme influence sur l’histoire de l’esthétique, mais l’œuvre d’art sera plus tard revalorisée (notamment chez Plotin, voir ci-dessous) en disant que le modèle « imité » par l’artiste, ce n’est pas un objet sensible mais bien une idée, qui est dans la tête de l’artiste.
Dans un autre texte (Sophiste 235d-236e), Platon va plus loin et distingue deux sortes d’arts mimétiques : la mimêsis « icastique » désigne le fait de reproduire le modèle en respectant ses proportions et en donnant à chaque partie les couleurs qui lui conviennent (c’est l’art de la « copie conforme ») ; tandis que la mimêsis « phantastique » (qui concerne notamment les œuvres de grande dimension, par exemple l’utilisation de la perspective en architecture) déforme les proportions exactes et utilise des couleurs non-réelles, ne reproduisant par l’être mais l’apparaître (comme le font, au niveau du discours —logos , les Sophistes). Cette seconde mimêsis est l’art du simulacre, de l’illusion ou de la tromperie.
En outre, pour revenir à la ligne, ce rapport (a-b) est aussi, dans l’intelligible cette fois, analogue à celui des objets intelligibles ou idées (a’’) envers les objets mathématiques (b’’) — qui sont comme les « ombres » des idées parce que, si leur objet est bien intelligible, il ne peut être atteint que par l’intermédiaire d’une image sensible (par exemple, l’idée de triangle ne peut être saisie que par le recours à un triangle sensible), et parce qu’ils se basent sur des « axiomes » ou des hypothèses, contrairement aux idées qui sont « anhypothétiques ».
INTELLIGIBLE (a) — SENSIBLE (b)
Idées (a’’) — Objets mathématiques (b’’) Objets sensibles (a’) — Imitations (b’)
 
La suite du mythe de la caverne montre d’ailleurs l’importance des mathématiques dans l’éducation (paideia), en tant que première étape pour appréhender le niveau des idées intelligibles. Eduquer, dit Platon, c’est accoutumer progressivement l’âme de l’élève à la lumière de l’intelligible (= à la vérité), en l’orientant progressivement vers des objets « de plus en plus lumineux », c’est-à-dire de plus en plus vrais et ayant de plus en plus d’être, jusqu’à l’idée suprême du Bien, qui est au monde intelligible ce que le Soleil est au monde sensible. L’entraînement aux mathématiques était, dans l’Académie, la première étape avant de s’atteler à la dialectique, c’est-à-dire à l’abstraction proprement dite.
Ainsi donc, dans la perspective « idéaliste » de Platon, les tortues sensibles ne sont que les copies dérivées d’une « idée de la tortue », et les choses que nous jugeons bonnes ou justes « imitent » l’idée du Bien ou celle de la Justice. Le modèle idéal apparaît aussi, chaque fois, comme ce qui fait l’unité de la multiplicité des objets sensibles, ou le critère unique d’une multiplicité de jugements, de même qu’un moule à patisserie ou un prototype de voiture est le modèle unique derrière une multiplicité d’exemplaires. Or, si la multiplicité des « images » sensibles font l’objet des opinions les plus diverses parmi les hommes (comme l’ont montré les Sophistes), les modèles ou archétypes intelligibles sont précisément, eux, ce qui peut faire l’objet d’une science (epistémè). Cette science, Platon l’appelle la « dialectique ».

Platon : réminiscence et dialectique

Dans le dialogue qui porte son nom, le personnage de Ménon propose le paradoxe suivant :

 

« Il n’est possible à un homme de chercher ni ce qu’il connaît ni ce qu’il ne connaît pas ; en effet, ce qu’il connaît, il ne le chercherait pas, puisqu’il le connaît et n’a donc pas besoin de le chercher ; mais ce qu’il ne connaît pas, il ne le chercherait pas non plus, car il ne saurait même pas qu’il devrait chercher. » (Platon, Ménon, 80e).

 

Pour répondre à l’embarras suscité par cette aporie, Platon introduit un nouveau mythe, celui de la réminiscence. Selon ce mythe, l’âme est immortelle et passe par de nombreux cycles de morts et de renaissances, au cours desquels elle peut faire l’expérience du visible et de l’invisible. Socrate introduit ce mythe parce qu’il est bon d’y croire afin de nous inciter à la recherche : en effet, si les âmes ont gardé un souvenir, même obscur, de leur rapport avec les idées entre deux réincarnations successives, si l’âme peut contempler les idées, c’est qu’elle doit elle aussi être éternelle et divine, malgré son incarcération dans un corps. En d’autres termes, c’est l’incarnation dans le corps qui est source d’oubli, et la recherche ne porte donc pas sur un objet qu’on ne connaît pas, mais plutôt sur un objet qui a été « oublié » par l’âme de celui qui cherche. La dialectique est donc possible, en tant qu’elle nous aide à nous ressouvenir des idées que nous avons déjà contemplées…
Ainsi, toute connaissance est réminiscence, mais au sens où connaître, c’est (ré)activer notre capacité à appréhender les idées. Comment faire en sorte de réactiver cette capacité ? C’est là que la dialectique platonicienne renoue avec la question socratique « qu’est-ce que (ti esti) ? » : en définissant précisément les mots que nous employons et les choses dont nous parlons, nous pouvons rechercher une telle connaissance des essences (ousiai). Platon, dans ce but, a écrit des dialogues dans lesquels il met en scène Socrate s’entretenant avec divers personnages athéniens. Cette méthode d’écriture s’accorde parfaitement avec la méthode dialectique, qui envisage la pensée comme un dialogue intérieur de l’âme avec elle-même, un travail de recherche et de définition procédant par questions et réponses. De plus, on l’a vu, le dialogue permet à Platon d’intégrer d’autres formes de discours dans l’exposition de sa doctrine, en particulier les mythes.
La dialectique proprement dite consiste ainsi à définir une notion le plus précisément possible en ayant recours à une méthode de rassemblement et de division, dans laquelle on commence par poser le genre auquel appartient ce que l’on cherche à définir (l’homme, par exemple, appartient au genre « animal »), pour ensuite diviser ce genre en différentes espèces ou différences spécifiques à ce qu’il s’agit de définir par un jeu d’oppositions « dialectiques ». Ainsi, en appliquant cette méthode dans le Politique, Platon en arrive à définir l’homme, par le jeu des questions et des réponses, comme un animal terrestre (et non aquatique), marcheur (et non volatile), sans cornes, ne pouvant se reproduire par croisement (contrairement à l’âne et au cheval, par exemple) et bipède (et non quadrupède) !
Ce procédé dialectique repose uniquement sur une déduction à partir d’idées telles que « animal », « terrestre », etc., sans recours à l’expérience sensible, ce qui suppose que ces idées sont multiples et toutes en rapport les unes avec les autres. Cette conception de l’être sous la forme d’une multiplicité d’idées, en outre, conduit Platon à commettre ce qu’il appelle son « parricide » à l’égard de Parménide (le « père » de la philosophie) : en effet, il est désormais possible de concevoir le non-être, non pas de façon absolue, mais bien de façon relative. En d’autres termes, le non-être n’est pas le contraire de l’être mais ce qui est autre que l’être : l’idée de cheval est différente de celle de l’homme, ce qui implique qu’un homme « n’est pas » un cheval. Puisque les idées sont pour ainsi dire « entrelacées » les unes aux autres, on peut, en bravant l’interdit posé par Parménide, penser le non-être, sur ce mode-là, celui de l’altérité. Et, par suite, l’erreur, que les Sophistes avaient déclarée impossible en utilisant l’argument de Parménide selon lequel on ne peut « dire » le non-être, redevient possible : se tromper, c’est avoir recours dans un jugement au mauvais critère, à la mauvaise idée, à celle qui « n’est pas » parce qu’elle est autre que l’idée dont il est effectivement question (par exemple, si je confonds un homme et un cheval, ou si je juge un argument d’après sa beauté et non d’après sa vérité).
A côté de la méthode dialectique, basée sur la déduction, Platon conçoit une autre méthode pour approcher l’intelligible, méthode ascendante qui consiste à partir des corps sensibles pour s’élever jusqu’aux idées. Ainsi, par exemple, dans le Phèdre et le Banquet, celui qui veut appréhender l’idée de la beauté doit partir de la beauté des corps pour s’élever par « échelons » à la beauté des actions, puis à la beauté des âmes, ensuite à celle des sciences, pour connaître finalement le Beau tel qu’il est « en soi », dans son essence. Cette dialectique, qui est celle de l’amour (erôs) montre que ce que nous appelons « amour platonique » repose en réalité sur un malentendu, l’amour « platonicien » n’excluant pas l’amour charnel dont il fait le premier échelon de l’ascension dialectique vers l’idée de la beauté.

Quelques mythes platoniciens

Platon, on l’a dit, n’hésite jamais à compléter la démarche dialectique par des mythes, lesquels occupent chez lui une place absolument prépondérante et, pour tout dire, indispensable. De même que les objets ou réalités sensibles peuvent nous amener progressivement à la connaissance des intelligibles, de même les mythes peuvent nous donner une représentation imagée des idées et servir de tremplin vers la connaissance dialectique. Ainsi, par exemple, la question de l’amour, dont il vient d’être question, a été abordée sous forme mythique par Platon dans le Banquet, à travers les discours de différents personnages à propos d’Erôs, discours qui s’enchaînent selon une progression rigoureusement orchestrée par l’auteur.
Un de ces personnages n’est autre que le poète comique Aristophane, qui raconte le célèbre mythe de l’androgyne (Banquet, 189d-191d), selon lequel il y avait autrefois chez les humains trois genres, le mâle, la femelle et l’androgyne (« homme-femme », c’est-à-dire à la fois mâle et femelle). Chaque être humain avait alors quatre mains, quatre jambes, deux visages formant une tête unique, quatre oreilles, deux organes sexuels, et ainsi de suite. Mais les humains, continue Aristophane, s’attaquèrent aux dieux, et ceux-ci décidèrent de les punir. Zeus coupa alors les humains en deux. Chacun, regrettant sa moitié, tentait de la rejoindre, et c’est de cette époque lointaine que date l’amour des humains les uns pour les autres, celui qui rassemble des parties de notre nature ancienne, qui de deux êtres essaye d’en faire un seul, et de guérir la nature humaine. Chacun est en quête perpétuelle de sa moitié. Ceux des hommes qui sont une part de ce composé des deux sexes qu’on appelait alors androgyne sont amoureux des femmes. Les femmes qui aiment les hommes proviennent aussi de cette espèce.Quant aux femmes qui sont une moitié de femme, leur inclination les porte plutôt vers les femmes. Ceux des hommes qui ont une part de mâle recherchent, quant à eux, les mâles, et ils n’aiment que les hommes.
Ce joli mythe, qui explique pourquoi l’amour est une souffrance (en lui donnant comme origine une punition divine qui pousse chaque être humain à se mettre en quête de sa « moitié ») et qui, par ailleurs, donne un fondement « naturel » à la différence entre l’homosexualité (qui était une institution importante dans la société grecque ancienne) et l’hétérosexualité (représentée par la figure mythique de l’androgyne), n’est cependant pas, loin s’en faut, le dernier mot de Platon. Il n’est qu’un moment dans l’enchaînement des discours sur Erôs.
Le mythe proprement platonicien est celui que raconte plus loin le personnage de Diotime, une vieille femme incarnant la sagesse et dont Socrate rapporte le récit à propos de la naissance d’Erôs : selon cette fable (Banquet, 203bc), le jour où naquit Aphrodite, les dieux faisaient un banquet, et, parmi eux il y avait Poros, le fils d’Invention. Or, quand ils eurent fini de dîner arriva Pénia, dans l’intention de mendier, car on avait beaucoup mangé, et elle se tenait contre la porte. Poros, qui s’était enivré de nectar, boisson des dieux, pénétra dans le jardin de Zeus et, complètement saoul, il s’endormit. Pénia décide alors de se faire faire un enfant de Poros. Elle s’étend auprès de lui, et c’est ainsi qu’elle tombe enceinte d’Erôs. Voilà aussi pourquoi Erôs est le compagnon d’Aphrodite et son serviteur : parce qu’il a été conçu pendant la fête de la naissance de cette déesse, et aussi parce que l’amour est par nature amant de la beauté, et qu’Aphrodite est belle.
La signification de ce mythe est multiple. L’association Erôs-Aphrodite, d’abord, rattache la question de l’amour à celle de la beauté. Ensuite, la généalogie d’Erôs, fils de Pénia (qui veut dire « pauvreté », et qui est représentée comme une mendiante privée de tout) et de Poros (qui veut dire « richesse », mais aussi « chemin », « expédient ») exprime le fait que l’amour est plus qu’un simple désir (le désir étant seulement une privation) mais inclut aussi en lui la « richesse » qui répond à la « pauvreté » du désir, la « solution » au problème du désir, et le « chemin » permettant de sortir de l’embarras suscité par le désir. Par ailleurs, Platon dit encore d’Erôs qu’il est « philosophe » : Erôs est ainsi présenté comme un « démon » au sens grec (c’est-à-dire une créature intermédiaire entre les dieux et les hommes, comme le seront les « anges » dans le christianisme), ce qui permet de situer la philosophie elle-même (« amour de la sagesse ») dans un « entre-deux » entre l’ignorance des mortels et le savoir universel des dieux. Cette interprétation permet de faire du philosophe, incarné par Socrate, l’« amoureux » par excellence, dont l’objet d’amour, les idées, est largement supérieur à ce qui est visé par celui qui confond la beauté charnelle et la beauté idéale, incarné par le personnage d’Alcibiade (le dernier à parler dans le Banquet).
Dans le Phèdre (244a-245a et 265b), Platon complète cette analyse de l’amour philosophique, en présentant celui comme une « folie », un « délire » (mania). Tout d’abord, il y a deux types de folie : la première est la dé-raison, la dé-mence, c’est-à-dire le contraire du logos et de l’intellect (noûs, d’où par exemple le terme français paranoïa) ; l’autre est la folie inspirée par les dieux, c’est-à-dire le génie ou l’enthousiasme (possession divine). Or, il y a quatre façons différentes d’être « divinement fou », quatre types de « bons délires » : l’inspiration divinatoire, la « mantique », c’est-à-dire l’art de prédire le futur (placée sous l’autorité d’Apollon) ; la mystique, c’est-à-dire l’initiation aux « Mystères » (de Dionysos) ; l’inspiration poétique (placée sous le patronnage des Muses) ; et, enfin, l’inspiration érôtique (placée sous le patronnage d’Aphrodite), qui correspond au « bon délire » qu’est la philosophie, amour de la sagesse…
Un autre mythe fort intéressant est le mythe de Theuth, issu du Phèdre (274c-275b), qui porte sur l’invention de l’écriture. Theuth est le nom grec du dieu égyptien des sciences et des arts et, surtout, l’inventeur de l’écriture. Par cette invention, explique Platon, les Egyptiens ont reçu un « remède » (pharmakon) pour leur mémoire et leur connaissance : en effet, l’écrit leur donnera plus de mémoire, il pourront stocker les informations dans des livres, eux-mêmes rangés dans les rayons d’immenses bibliothèques. Mais ce « remède » est aussi un « poison » ou une « drogue » (pharmakon) pour la mémoire et la connaissance des Egyptiens : car l’écriture « développera l’oubli dans les âmes de ceux qui l’auront acquise, par la négligence de la mémoire ; se fiant à l’écrit, c’est du dehors, par des caractères étrangers, et non du dedans, et grâce à l’effort personnel, qu’on rappellera ses souvenirs ». De plus, critique Platon, le discours oral répond aux questions et aux attaques, et il s’adapte à son interlocuteur, là où le discours écrit ne répond pas aux questions et attaques, et dit toujours la même chose, ignorant à qui il s’adresse.
Ainsi l’écrit, s’il aide à se souvenir, risque de donner aussi l’impression qu’il remplace la mémoire personnelle. Celle-ci sera minimisée au profit d’une mémoire externe et passive ; l’effort personnel sera ruiné au bénéfice de l’oubli et de l’ignorance ! Situé dans passé lointain, le mythe platonicien de Theuth résonne étrangement avec l’actualité la plus brûlante… Ne pourrait-on, en effet, transposer aisément ce récit dans notre monde contemporain, marqué par la « révolution cybernétique » et l’apparition du web, avec ses « banques de données » et autres « mémoires virtuelles », qui, si elles rendent l’information plus disponible et plus complète que jamais d’un point de vue virtuel, ont aussi créé des dégâts et des manquements irréversibles dans la mémoire active et interne de chacun de nous et de tous nos contemporains ? Par contre, si l’on pousse plus loin la comparaison, on pourrait voir dans le caractère interactif du web une réponse à l’autre critique de Platon contre l’écrit, celle de ne pas s’adapter et de ne pouvoir répondre à son interlocuteur.
Ces exemples choisis parmi d’autres (l’anneau de Gygès, l’Atlantide, etc.) montrent que les mythes, en plus d’être simplement un ornement littéraire, jouent un rôle important dans l’exposé de la pensée de Platon, et ce pour diverses raisons : notamment, et la plupart du temps, parce qu’ils ont une fonction pédagogique importante et permettent de se représenter de façon imagée une idée, un problème ou une distinction difficiles à saisir par la seule pensée déductive (comme le mythe de la caverne, le mythe de la naissance d’Erôs ou le mythe de Theuth), ou alors parce qu’ils permettent de sortir d’une impasse (aporia) suscitée par un problème difficile à résoudre par la dialectique (par exemple, le problème de la participation du sensible à l’intelligible, dont on verra ci-dessous que Platon le résoud par un recours au mythe de la création de l’univers par un Démiurge), ou encore parce qu’ils peuvent avoir une fonction incitatrice, fournir une stimulation pour le chercheur de sagesse ou un modèle d’action fondée sur la justice (comme le mythe de la réminiscence, qui est introduit, comme on l’a vu ci-dessus, pour encourager la recherche de la vérité et des idées, ou comme les mythes « eschatologiques » ou encore le mythe de l’attelage ailé — voir ci-dessous — qui concernent la structure de l’âme et son immortalité).

Platon : cosmologie et problème de la participation

Comme on l’a vu, l’intérêt des philosophes, depuis les Sophistes et Socrate, s’est clairement déplacé de la cosmologie vers des questions touchant à l’anthropologie (étude de l’homme) : questions éthiques, psychologiques, épistémologiques, etc. Ceci dit, Platon et Aristote continuent tous à accorder une (petite) place à la cosmologie, c’est-à-dire à l’explication de l’univers. Dans le Timée, Platon a mis au point une cosmologie dans le seul but de résoudre un problème suscité par sa théorie des idées : le problème de la participation du sensible à l’intelligible.
Ce problème est le suivant : si l’idée est la « cause », l’« essence », le « modèle » et l’« unité » des choses sensibles, comment passe-t-on d’un plan à l’autre, comment les choses sensibles « participent »-elles aux êtres intelligibles ? Comment tel homme participe-t-il à l’Homme-en-soi, comment telle chose belle participe-t-elle à la Beauté-en-soi ? Pour Platon, une telle relation échappe autant à la sensation (qui porte sur le sensible) qu’à la science (qui porte sur l’intelligible) et ne peut donc faire l’objet que d’un mythe.
Dans le Timée, le monde est créé par un dieu bienveillant, le Démiurge (c’est-à-dire « l’artistan », le « producteur »), qui prend pour modèle les idées et les notions mathématiques pour organiser l’ensemble de l’univers. Il commence par fabriquer une « âme du monde », et ensuite le « corps du monde », reflet des idées dans « l’espace » (khôra). Il crée le temps (khronos), « image mobile » de l’éternité, etc. Ensuite, il se tourne vers les êtres vivants et termine par l’homme. Sont but est chaque fois de « réaliser les choses de la meilleure façon possible » (les idées sont, à ce titre, le meilleur modèle possible) tout en étant « limité par la nécessité ». Ainsi, on trouve aussi dans le mythe du Timée la première formulation claire de l’idée de providence divine (dont, pour rappel, on trouvait les prémisses chez Anaxagore et surtout chez Diogène d’Apollonie) : Dieu crée le monde, l’univers (kosmos) en vue du meilleur.
Platon présente son récit comme un « mythe vraisemblable » (eikôs muthos), c’est-à-dire un récit qu’il s’agit de « redresser » pour en comprendre la signification et la portée… Il semble donc impossible d’interpréter littéralement ce récit de la création de l’univers (pour Platon, c’est « de tout temps » que l’univers a été, qu’il est et qu’il sera), de même qu’il semble impossible de prendre la figure du Démiurge à la lettre comme décrivant l’action véritable d’un Dieu créateur. C’est pourquoi la plupart des successeurs de Platon (à l’exception notable d’Aristote) interpréteront ce récit de façon allégorique : il s’agit d’une façon de parler pour manifester la « dépendance » ou l’infériorité du monde sensible par rapport à son modèle intelligible, modèle dont l’antériorité n’est pas chronologique mais « logique ». D’autres, par contre, choisiront l’interprétation littérale et donc créationniste, notamment la plupart des penseurs monothéistes qui voient dans le Timée une occasion unique de confirmer par la philosophie grecque le récit de la Genèse et de réconcilier ainsi la foi (en la Bible) et la raison (incarnée par Platon, le philosophe grec par excellence).

Platon : psychologie et philosophie politique

Pour introduire la psychologie de Platon, c’est-à-dire sa conception de l’âme, on peut recourir à un autre mythe, celui de l’attelage ailé, issu du Phèdre (253a-254b) et correspondant à la classification des parties de l’âme dans la République (livre IV). L’âme, dit Platon, est composée de trois parties, la partie désirante (qui rassemble tous les désirs liés au corps tels que la faim ou la pulsion sexuelle) et la partie ardente (qui concerne les élans et les émotions) pouvant être représentées par deux chevaux, tandis que la partie rationnelle peut être figurée par le cocher qui maîtrise l’attelage.
Cette division de l’âme en trois parties vise en fait à rassembler toute une série de mouvements psychiques (vouloir, examiner, délibérer, juger, avoir une opinion, avoir de la peine, se réjouir, avoir confiance, etc.) sous des espèces générales, et part d’une conception de l’âme, non seulement comme principe de vie et de mouvement, mais aussi comme un principe automoteur, « qui se meut lui-même », et qui, finalement, n’« est » elle-même rien d’autre que l’ensemble de ses propres mouvements.
On a souvent reproché à Platon le caractère simplificateur de cette tripartition de l’âme. Cette classification doit cependant être comprise dans un contexte éthique, où il est question de notions telles que le bien ou la justice ; elle cherche à définir des « vertus » éthiques et ne vise donc nullement à épuiser le spectre des possibilités (scientifiques, artistiques, affectives, etc.) de l’âme humaine. En effet, tant que le cocher maîtrise les chevaux, tout se passe bien. Mais les chevaux sont parfois indisciplinés, car ces parties de l’âme sont souvent en conflit les unes avec les autres… C’est là que l’âme peut se comporter ou non de façon « vertueuse ». Qu’est-ce en effet que la justice ? Réponse de Platon : c’est l’harmonie des trois parties de l’âme, lorsque les désirs et les émotions sont soumis à des critères rationnels (l’injustice a lieu quand l’intérêt personnel ou la passion prévaut sur de tels critères). Qu’est-ce que le courage ? C’est lorsque la partie ardente est dominée par la partie rationnelle (la lâcheté consistant à se laisser guider par une émotion telle que la peur). Qu’est-ce que la tempérance ? C’est, de façon similaire, le fait de soumettre ses désirs à sa raison (l’intempérance consistant à se laisser guider par ses seuls désirs). Et qu’est-ce que la sagesse ? C’est le commandement de la partie rationnelle, un commandement qui ne doit cependant pas être tyrannique mais bienveillant, la raison « lâchant la bride » de temps à autre aux parties ardente et désirante. Platon peut ainsi montrer que les quatre vertus cardinales (justice, courage, tempérance, sagesse), qui sont présentes dans l’âme et qui découlent de sa tripartition, s’impliquent mutuellement dans l’interaction de ses trois parties, contribuant toutes ensemble à nous faire saisir ce qu’est l’idée même de « vertu », la Vertu idéale.
De plus, si notre âme est immortelle et si la mort consiste en la séparation de l’âme et du corps, le fait de fortifier la partie rationnelle de l’âme nous entraîne à fortifier toute notre âme pour la rendre plus indépendante du corps et nous préparer ainsi à cette séparation : c’est le sens de la célèbre formule du Phédon selon laquelle « philosopher, c’est apprendre à mourir », c’est-à-dire se préparer à l’immortalité. Car notre existence actuelle détermine la vie que nous mènerons par après, selon un principe de rétribution des actes (comparable à la loi du karman en Inde) qui nous échappe, et que Platon décrit toujours en ayant recours à des mythes « eschatologiques », c’est-à-dire concernant la « fin » ou la « destinée » de l’âme, dont la fonction est d’encourager les hommes à se laisser guider par la justice et par la philosophie.
Mais il y a plus. Car la tripartition de l’âme et la définition de la justice qui en découle (comme harmonie des trois parties) ne concerne pas uniquement l’âme individuelle, mais touche également à la question politique de savoir ce que serait une cité idéale incarnant l’idée de la justice. On passe alors de la question du salut individuel à celle du salut collectif. Si la justice individuelle est l’harmonie entre les parties rationnelle, ardente et désirante de l’âme, la justice collective consistera elle aussi en une telle harmonie et sera définie comme le fait d’accomplir sa fonction propre. Platon, dans la République, va donc faire correspondre à chacune des trois parties de l’âme une « fonction » politique et sociale, qui lui est homologue au niveau collectif : ainsi, les philosophes correspondent-ils à la partie rationnelle, les gardiens de la cité à la partie ardente, et les artisans/producteurs à la partie désirante (selon un système de fonctions sociales complémentaires propre aux cultures indo-européennes, qui n’est pas sans rappeler le fameux « système des castes » propre à l’Inde, où les trois premières castes sont, de façon similiare, celle des prêtres ou brahmanes, celle des rois et des guerriers, et enfin celle des commerçants, des producteurs et des artisans, la quatrième caste réunissant les « serviteurs » des trois premières, voir ci-dessous).
 
 
Dans une telle cité, chacun doit exécuter les tâches qui lui conviennent le mieux. Ainsi, Platon préconise la communauté des biens, des femmes et des enfants (afin de supprimer jalousies et privilèges), et il recommande aussi de sélectionner ces enfants le plus tôt possible en fonction de leurs aptitudes pour les orienter vers les tâches qui leur conviennent et de leur permettre ainsi de s’épanouir utilement. Par ailleurs, de même que l’âme n’est en harmonie avec elle-même que lorsqu’elle est dirigée par la partie rationnelle, la cité idéale devra être dirigée par des « rois-philosophes », les seuls qui « sauront » diriger la cité en vue du bien commun et en fonction des idées intelligibles qu’ils ont la chance de contempler.
Ce thème a valu a Platon d’être identifié comme le précurseur des totalitarismes modernes, en particulier ceux d’Hitler et de Staline. Pour sa défense, on peut dire que Platon n’a jamais présenté sa cité autrement que comme une cité « idéale », c’est-à-dire comme une utopie. Car, s’il semble avoir eu l’espoir de « réaliser » une telle communauté politique à Syracuse lors de ses voyage en Sicile (expérience qui s’est soldée par un cruel échec), le texte de la République présente clairement la situation du roi-philosophe comme une situation aporétique, sans issue : en effet, il faudrait qu’un philosophe accepte de devenir roi (c’est-àdire de retourner dans la caverne obscure), il faudrait en plus que les autres hommes l’acceptent comme dirigeant (alors que les hommes de la caverne préféreront se moquer de lui, ou même le tuer comme Socrate), ou alors il faudrait qu’un roi soit capable de renoncer à ses privilèges pour philosopher de façon authentique (ce qui est difficile à imaginer). Ainsi, la domination de la cité par des rois-philosophes est, pour Platon, à la fois nécessaire et impossible :

 

« Tant que les philosophes ne seront pas des rois dans les cités, ou que ceux qu’on appelle aujourd’hui rois et souverains ne seront pas vraiment et sérieusement philosophes ; tant que la puissance politique et la philosophie ne se rencontreront pas dans le même sujet ; tant que les nombreuses natures qui poursuivent actuellement l’un ou l’autre de ces buts de façon exclusive ne seront pas mises dans l’impossibilité d’agir ainsi, il n’y aura pas de terme […] aux maux des cités, ni, ce me semble, à ceux du genre humain, et jamais la cité que nous avons décrite tantôt ne sera réalisée, autant qu’elle peut l’être, et ne verra la lumière du jour. » (Platon, République, V, 474a)

 

De plus, s’il est vrai que Platon était plutôt hostile à la démocratie, il était surtout un farouche adversaire de la tyrannie. La cité idéale décrite dans la République n’est pas une « tyrannie des philosophes » mais c’est plutôt, littéralement, une « aristocratie », c’est-à-dire un « gouvernement des meilleurs » (non pas les plus fortunés ou les « bien nés », selon le sens moderne du terme, mais les plus doués intellectuellement, c’est-à-dire les philosophes).
Par après, Platon proposera autre chose, une typologie des gouvernements où il reviendra à une conception un peu plus « réaliste » du gouvernement idéal. Il y a, selon cette typologie (qui est parfois attribuée à Aristote, mais dont on trouve l’ébauche chez Platon, dans la République, le Politique et les Lois), trois formes de gouvernements possibles : soit c’est un seul homme qui dirige (monarchie), soit ce sont quelques hommes — de préférence les « meilleurs » (aristocratie), soit c’est tout le monde, le peuple (démocratie).
Quant tout fonctionne correctement, quand on chante les louanges de ces systèmes politiques, le premier système, la monarchie, est le meilleur gouvernement (un seul homme prend en connaissance de cause les décisions qui sont favorables à la collectivité, n’étant guidé que par l’intérêt général et le bien commun : c’est ce que l’époque moderne appellera le « despotisme éclairé », à l’image de la devise de Joseph II, « tout pour le peuple, rien par le peuple »…) et le troisième est le moins bon gouvernement parce que le moins efficace (on perd beaucoup de temps en débats et en délibérations, pour n’accoucher finalement que de lois timorées, amendées de toutes parts et souvent contre-productives…).
Par contre, si l’on envisage les effets pervers de chacune de ces formes de gouvernement, la situation change complètement : la monarchie dégénère en une tyrannie, qui est le pire régime politique (le monarque ne se laisse plus guider que par ses désirs et ses émotions : c’est le règne de l’arbitraire, de l’avidité et des passions ; le tyran lui-même est malheureux car il n’inspire aucun autre respect que celui qui résulte de la crainte et du malheur qu’il suscite) ; l’aristocratie dégénère, quant à elle, en oligarchie (gouvernement des « peu nombreux », d’une petite « clique » qui n’est pas forcément constituée par les meilleurs), terme utilisé aujourd’hui par les journalistes pour désigner de petits émirats où règnent des familles riches (les « oligarchies pétrolières ») ou encore des partis uniques où les promotions sont accordées sur des critères obscurs (les « oligarques » du parti communiste chinois) ; quant à la démocratie, elle dégénère en démagogie (les vils flatteurs, à l’image des Sophistes, remportent l’adhésion de la foule par des discours enflammés ; là aussi, inutile de dire que l’analyse de Platon conserve toute son actualité) ou en ploutocratie (« règne de l’argent », où le pouvoir économique est proche des sphères dirigeantes, ce qui n’est pas sans rappeler, encore une fois, certains dirigeants actuels de pays démocratiques…) En fin de compte, pour Platon et Aristote, si la démocratie est le moins bon régime politique dans un monde où tout fonctionne bien, elle est par contre, dans une optique « réaliste », où l’on tient compte des effets pervers de chaque forme de gouvernement, le moins mauvais régime politique !

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