Cours – Origines et définition de la philosophie

  •  Cours de philosophie – Joachim LACROSSE
  • Support écrit (SE)
  • (notes provisoires, octobre 2013) 

Cours – Origines et définition de la philosophie

Introduction : origines et commencements

a) Origines et définition de la philosophie

Commençons, avec le philosophe allemand Karl Jaspers (XXè siècle), par distinguer trois origines de la démarche philosophique : l’étonnement, le doute et le bouleversement.

1. Le point de départ de la philosophie, c’est la faculté de s’étonner devant des choses, des phénomènes qui paraissent généralement « normaux ». L’étonnement, qui nous permet de prendre conscience de notre ignorance, nous ouvre alors au savoir désintéressé.

2. Le doute, ensuite, quand il devient méthodique, permet de conquérir de nouvelles certitudes, comme par exemple le doute généralisé de Descartes (=cartésien), qui, on le verra, lui permet, en fin de compte, de tenir pour certaine sa propre existence et celle de l’univers entier.

3. Certaines situations incontournables ou « limites », bouleversantes (mort, souffrance, échec, hasard, existence spatio-temporelle, etc.), enfin, nous forcent également à penser et nous plongent dans les questionnements existentiels les plus profonds et les plus bouleversants.

Le mot grec philosophia a été inventé il y a quelque 2500 ans en Grèce, par Platon ou par Pythagore. La philo-sophia, d’un point de vue étymologique, c’est littéralement l’« amour de la sagesse ». Pour les Grecs, seuls les dieux possèdent la vraie sagesse (sophia), tandis que les hommes, eux, s’efforcent de l’atteindre et de l’aimer, sans la posséder pleinement.

Le sens commun associe le terme « philosophie » à un questionnement (sans réponses déterminées), une quête du sens, une recherche (jamais assouvie), impliquant l’autonomie et la réflexivité de l’esprit humain, ayant recours à l’abstraction conceptuelle et à la dialectique (confrontation et synthèse de points de vues divergents), un art de vivre en ayant le bonheur pour objectif, ou encore une vision du monde.

On consulte aussi le dictionnaire (Petit Robert) : « Philosophie. Ensemble des études, des recherches visant à saisir les causes premières, la réalité absolue ainsi que les fondements des valeurs humaines, et envisageant les problèmes à leur plus haut degré de généralité. Par ext. 1° Ensemble des conceptions philosophiques communes à un groupe social. 2° Conception générale, vision plus ou moins méthodique du monde et des problèmes de la vie ».

La recherche philosophique, qui est transversale et touche à de nombreuses disiciplines, porte sur des questions générales, ultimes, autrement dit des problèmes. La philosophie ne propose des réponses que pour mieux donner un sens à la question qui fait problème. L’essentiel, c’est de construire un problème, et non d’y apporter des solutions définitives. Car c’est le mouvement de la question, et non le repos de la réponse, qui permet à l’esprit de rester éveillé. La valeur de la philosophie vient ainsi de son incertitude elle-même.

Kant, à l’époque moderne (XVIIIè siècle) affirme que les trois grandes questions de la philosophie sont

1. Que puis-je connaître ?

2. Que dois-je faire ? 

3. Que m’est-il permis d’espérer ?

Il ajoute que ces trois questions peuvent être résumées par une quatrième :

4. Qu’est-ce que l’homme ?

b) Triple naissance de la philosophie

Si l’on pose la question, non plus de l’origine mais du commencement de la philosophie, qui est un événement historique, il faut préciser de quoi l’on parle. Une tradition tenace en Occident tend à associer le commencement de la philosophie exclusivement à la tradition qui a inventé le mot philosophia, c’est-à-dire la tradition philosophique des Grecs. Cette perspective (que l’on peut qualifier d’européo-centriste) consiste à affirmer qu’il y aurait eu en Grèce (et nulle part ailleurs) un « miracle » qui aurait consisté dans l’invention de la Raison, ou le « passage du muthos au logos » et aurait coïncidé avec l’origine de la tradition philosophique telle qu’elle se transmettra chez les Latins, puis dans les langues européennes modernes (français, allemand, anglais etc.)

Cette vision des choses n’est pas fausse, dans la mesure où la Grèce a effectivement été le théâtre d’innovations et de bouleversements intellectuels majeurs à l’époque des premiers philosophes, vers le sixième sièce avant notre ère (voir ci-dessous). Mais il s’agit d’une vision incomplète et étriquée du commencement de la philosophie, et ce au moins pour deux raisons. Tout d’abord parce que la « philosophie », sous certaines formes, était déjà présente, notamment dans les grands mythes de toutes les civilisations humaines, dans les proverbes, les sagesses populaires, etc., et est donc aussi vieille que l’humanité. Ensuite, parce que la Grèce n’est pas le seul lieu de naissance de la « philosophie » — si l’on veut bien signifier par là non pas le mot grec philosophia, mais bien la chose philosophie : une recherche autonome et réflexive de l’esprit humain, envisageant les choses au plus haut degré de généralité, et s’exprimant dans un langage plutôt abstrait (pour en donner une définition minimaliste).

La philosophie est une démarche universelle et transculturelle. D’un point de vue textuel, cependant, seules trois civilisations peuvent revendiquer le statut de « berceau de la philosophie » : l’Inde, la Grèce et la Chine. Les autres civilisations ont certes, elles aussi, « philosophé », mais ce sont ces trois-là qui ont produit les corpus de textes les plus importants (point de vue quantitatif), les plus systématiques et les plus continus — ce qui n’est d’ailleurs pas un jugement sur la valeur intrinsèque de ces traditions. Cela veut simplement dire que les conditions y étaient chaque fois réunies pour développer une tradition de recherches philosophiques, impliquant notamment des débats argumentés, thèse contre thèse, entre plusieurs penseurs ou courants de pensée rattachés à des maîtres fondateurs.

La perspective retenue dans ce cours concernant le commencement de la philosophie est donc celle d’une « triple naissance » : les Grecs, les Chinois et les Indiens ont tous les trois « découvert » ou « inventé » le continent philosophique, à peu près à la même époque, mais en y accostant par des rivages différents. Les Grecs sont « entrés en philosophie » par le biais de la physique et de la cosmologie (en cherchant l’origine de l’univers dans les éléments naturels qui le composent), ce qui les a conduit ensuite à l’ontologie, à l’épistémologie, puis à la philosophie morale et politique, l’esthétique, la logique, etc. Les Chinois, eux, ont accosté par le biais de la philosophie politique (notamment à partir d’une réflexion sur le statut du « Fils du Ciel », l’autorité politique, et la façon de construire un ordre social viable), qui les a conduits ensuite vers la cosmologie, l’éthique, la logique et l’épistémologie, etc. Quant aux Indiens, c’est une réflexion sur les sacrifices védiques et sur le principe de la transmigration qui les ont amenés sur le « continent philosophique » en les obligeant à développer une ontologie, une épistémologie, une logique, etc.

L’absence de certaines « découvertes » chez les uns ou les autres (la philosophie politique en Inde, l’ontologie en Chine) ne signifie d’ailleurs pas que l’exploration du continent philosophique y fut moins poussée qu’ailleurs. De nombreuses philosophies occidentales ne se sont pas vouées, elles non plus, à toutes les facettes du continent philosophique.

Ceci étant précisé, avant de revenir plus tard sur la philosophie en Inde et en Chine, examinons en détail ce qui s’est passé en Grèce…

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